Le promeneur s’est arrêté. Du coup, arrêté aussi le froissement des feuilles mortes écrasées sous ses pas, arrêté ce bruit qui berçait sa balade.
Il est là devant cette grande flaque ; il se dit qu’il a beaucoup plu ces derniers jours, la terre n’arrive plus à accueillir toutes les eaux tombées du Ciel ; alors elle les fait attendre à la surface, comme un hôtelier débordé fait patienter ses clients.
Le promeneur s’est arrêté, et il se dit… Non, il ne se dit dit pas, il ne se dit rien. C’est son mental qui bavarde tout seul.
Lui, il écoute et prend conscience de ce bavardage : « C’est beau, ces couleurs », « Il y en a qui sont déjà pourries », « Est-ce que je vais abîmer mes chaussures si je marche dans l’eau ? », « je faisais ça quand j’étais petit, mais j’avais des bottes en caoutchouc », « Quelle heure peut-il bien être », Un jour je serais mort comme ces feuilles. », « J’ai bien fait de prendre mon grois manteau, il fait froid, l’hiver est arrivé tôt cette année »…
Puis doucement, ça se calme en lui, cette bousculade des pensées. Il éprouve sa respiration, perçoit son cœur. Son attention se pose sur une des feuilles, à demi pourrie. Il la regarde, ou plutôt il la voit. Il voit aussi toutes les autres.
Plus envie de bouger. Rester là.
De temps en temps de nouvelles pensées traversent son esprit. Il les entends comme il voit les feuilles. Présence et recul.
Une pensée chuchote : « tes pensées sont comme ces feuilles, il y en a beaucoup, dans tous les sens, laisse les aller et venir, comme ça ; c’est parfait ; cet instant est parfait ; tu n’as rien à attendre de plus que ce que tu es en train de vivre ici et maintenant. »
Puis silence des pensées. Bouffée d’éternité.
Tiré de « Reflection (What does your soul look like?) » de Peter Doig, peintre écossais contemporain.